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11 août 2020

Une histoire de peaux : Kink «politiquement incorrect» ?




Que du bonheur...


Tout a commencé par une phrase.

J’avais demandé à Ma soumisE de m’écrire un texte sur l’humiliation, son attrait pour ce sentiment, son ressenti, les pratiques qui l’attirent dans ce domaine.

L’humiliation est un sentiment des plus particuliers. Comme j’ai déjà dû l’écrire ailleurs, il s’agit de quelque chose de très subjectif, de très personnel:

- ce qui est humiliant pour l’un ne le sera pas pour un autre;

- la manière dont humiliation est «administrée» la rendra soit cruelle et destructrice soir ludique;

- sans compter que la notion même d’humiliation varie selon qu’elle soit en fonction de critères sociaux ou de critères personnels.


Je disais donc, tout a commencé par une phrase:

« Il y a aussi un aspect de cette humiliation que je n'ai jamais vraiment abordé, à vrai dire avec personne de souvenir, parce qu'elle est à la fois difficile à expliquer et à appréhender, à savoir l'humiliation basée sur la race, ce qui en fait naturellement et à la fois un sujet plutôt tabou et aussi une source d'inégalité très ancrée dans la réalité, mais qui à sa base fonctionne comme n'importe quelle autre humiliation, au même titre que l'on peut utiliser des fétichismes ou même jouer sur le corps comme biais d'humiliation, au final. »


Depuis que je connais Gigi, jamais la notion de « race » ne m’avait effleurée jusqu’à ces mots. Jamais je n’avais pensé à elle en me disant « elle est noire » et lorsque je choisis pour elle une tenue ou un accessoire, je le fais en fonction de ce qui lui va le mieux au teint, comme je le ferais pour tout autre soumis/e. Tout au plus avais je bien pensé à ses origines en terme de respect, c’est à dire que je n’avais jamais osé l’enchaîner à un boulet de cheville (comme je l’aurai fait avec d’autres sans me poser la moindre question) de crainte de toucher là à quelque chose de sensible pour elle.

Alors, à la lecture de ses mots, j’ai décidé de l’appeler immédiatement, il me fallait lui parler de vive voix: je ne comprenais pas, j’avais besoin de comprendre; j’étais assailli de questions, j’avais besoin de réponses, mais aussi comment pouvait-on avoir envie de jouer sur ce registre?…

Il me fallait savoir, creuser: y avait-il derrière cette envie qu’elle exprimait autre chose, quelque chose de trouble, quelque chose de malsain, une faille psychologique à côté de laquelle je serais passée?…

Nous avons longuement dialogué. Ce fut une occasion pour moi de la connaître encore mieux et aussi pour le coup d’aborder ce qui ne l’avait jamais encore été, la notion d’identité.

Ce fut sans doute aussi pour elle l’occasion d’avoir la confirmation de ce qu’elle savait déjà et qui lui avait fait tant hésiter à se confier à moi sur ce point: mes valeurs humaines faisaient que l’idée même de la rabaisser en utilisant le fait qu’elle est noire me mettait extrêmement mal à l’aise, même si ce n’était que dans le cadre d’un kink. Ce n’était pas qu’elle touchait là à une de mes limites, puisque pour qu’il y ait limites il faut avoir posé le concept, c’était juste que cela ne m’était jamais venu à l’esprit.


Nous étions au début du confinement, nous avons donc eu le temps d’échanger sur le sujet. Je la questionnais sur le type de situations qui l’attirent, sur les mots aussi, lesquels lui sont acceptables, ceux qui ne le sont pas. C’est lors de l’un de ces échanges qu’elle m’a écrit:

« prendre des différences et les tourner un peu en dérision pour briser un tabou plutôt que de l'exacerber en lui conservant cet aspect intouchable, car à moins de vraiment tomber sur des gens qui y croient, il s'agit là clairement plus d'un autre jeu de pouvoir au sein d'un cadre consenti et complice où on a alors à sa disposition tout un champ lexical et tout un imaginaire avec lesquels jouer pour toujours plus soumettre, asservir, entretenir l'inégalité. »


Alors, doucement, l’idée a fait son chemin dans mon esprit, la frontière entre ce qui me paraissait acceptable et non-acceptable bougeant doucement. Combien de choses m’avaient paru « inacceptables » lorsque j’ai commencé le BDSM : faire subir de la douleur, utiliser des termes humiliants et communément utilisés pour insulter les femmes, combien de lignes ont bougé en moi et ce sans que je m’y perde, sans que je m’éloigne pour autant du respect que j’ai pour la personnes qui s’offre à moi ?…

Alors, tandis que le confinement nous contraignait au virtuel, presque timidement, j’ai commencé à saupoudrer quelques allusions... je testais... j’observais, aussi bien elle (ses réactions) que moi-même (mon ressenti). Cela va peut-être paraître risible pour certain-e-s mais il ne me fut pas facile du tout de dire pour la première fois cette simple phrase «j’ai envie de remplir ta chatte noire de queues blanches».

Et puis le déconfinement a eu lieu, nous avons pu nous revoir en réel.
Nous avons alors franchi une autre étape dans cette nouvelle facette de nos rapports. Et le plaisir et l’amusement furent au rendez-vous pour nous deux.

Ces moments furent si agréables, si emplis de confiance et de complicité que de les immortaliser par des photos fut une évidence, tout comme le fait de les partager…

J’aurai
pu ne pas exposer ce kink. D’autant que le contexte socio-politique actuel n’est pas des plus favorables mais puisque moi je connais mes intentions, puisqu’elles n’ont rien de malsaines, pourquoi ne pourrais-je pas en parler? J’aurais pu aussi me dire que cette exposition peut éveiller chez des personnes un certain malaise, ce que j’accepte et comprends tout à fait mais il m’arrive à moi-aussi de croiser ici ou là des kinks qui me mettent très mal à l’aise (et sans doute aussi bon nombre de personnes), est-ce pour autant que les kinsters devraient s’abstenir de partager? Est-ce pour autant qu’ils devraient se cacher?


J’ai aussi tenu à partager ce kink (phot
os+légendes et cet article) parce que entre ce que Ma soumisE m’a dit et mes propres recherches, si dans le registre interracial on trouve assez facilement la Domina qui affirme sa suprématie féminine noire sur le soumis blanc, l’inverse est absolument inexistant (ou si rare qu’on ne le trouve que difficilement) sur la toile… sans doute pour toutes les raisons que je vais aborder plus loin. Et pourtant! Oui pourtant, Ma soumisE n’est probablement pas la seule dans le monde à avoir ce fantasme… et je trouve très dommage que ces personnes ne puissent rien trouver à ce sujet. Combien de personnes ont un kink « particulier » et se croient seuls car ils ne le retrouvent pas sur la toile? Combien ont des envies qu’ils finissent par craindre qu’elles soient pathologiques? Donc oui, si j’en parle c’est pour ceux qui, comme Gigi, ont ce fantasme.

Si le partage des photos fut une évidence, j’ai un instant hésité à les annoter comme je l’ai fait. Mais voilà, sans légende, ces photos n’auraient montré qu’une partie minime de ce qui a été vécu et ce n’est pas ce que je voulais (pour les raisons citées juste avant).

Alors, oui, je me doute que le mot «négresse» a pu en choquer plus d’un-e, que certain-e-s ont même pu se faire une idée faussée de la situation, de mon état d’esprit.. alors penchons-nous un instant sur ce mot .

L'Internaute

nègre , adjectif

Sens 1:Relatif à la couleur noire.

nègre, nom, (Féminin:négresse).

Sens 1 (Ancien): Esclave noir.

Sens 2 (Péjoratif): Terme péjoratif et raciste pour désigner une personne de couleur noire.

Sens 3 (Littérature):Auteur payé pour écrire des ouvrages qui sont signés de la main d'un autre.

Larousse

Définitions:

Qui appartient aux Noirs, à la culture des Noirs : Art nègre.

Vieilli. (Terme injurieux et raciste) Se disait de quelqu'un, d'un groupe de personnes de couleur noire : Tribus nègres.

Emploi: Le mot nègre ayant souvent été employé dans des contextes discriminatoires ou racistes, on lui préfère aujourd'hui des équivalents neutres : dans tous les registres, noir, nom et adjectif (un Noir, une Noire, les Noirs ; la musique noire américaine) ; dans l'expression soignée, homme de couleur, femme de couleur, personne de couleur, nom ; dans le registre familier, l'anglicisme black, nom (un Black, une Black, les Blacks), récemment apparu.


Donc, comme on peut le constater, dans son sens originel, ce terme n’a rien de péjoratif (il y a d’ailleurs beaucoup de personnes africaines qui l’utilisent pour parler d’eux-même) mais c’est bien l’état d’esprit des personnes qui ont utilisé ce mot à travers les siècles qui en a fait une injure.

L’état d’esprit, le contexte, voilà bien ce qui fait toute la différence.

Si nous y regardons de près, combien de choses faisons-nous dans le BDSM qui hors de ce contexte sont totalement inacceptables ? Gifler quelqu’un, lui cracher ou lui uriner dessus, pour ne prendre que des exemples non génitaux-sexuels. Combien de mots utilisons-nous qui, dits dans toute autre circonstance, sont injurieux? Chienne, salope, trou à bites etc.

Alors, on peut me dire «c’est pas pareil!». Mais, pourquoi cela ne serait-il pas pareil?

Le degré d’humiliation d’un mot serait-il différent selon à qui elle s’adresse? Certains mots sont-ils plus acceptables parce qu’ils sont en lien avec le genre plutôt qu'avec la couleur de peau?

Nous pourrions utiliser, dans le BDSM, certains termes humiliants sans que cela ne choque qui que ce soit mais pas d’autres?

Parce que cela rappelle une Histoire, un passé douloureux pour toute une population?

- mais si ma soumise elle-même refuse de réduire qui elle est à l’histoire et à la souffrance de ses ancêtres, pourquoi moi devrais-je la réduire à cela?

- mais si moi je considère ne pas avoir à porter la culpabilité de crimes commis pas d’autres personnes sous prétexte que j’ai la même couleur de peau, où est le problème? 

Mais si je ne me trompe, il y a d’autres mots qui rappelle l’Histoire, la souffrance de peuples : esclave, servitude. Et il me semble que ce sont pourtant des termes souvent utilisés dans notre monde, non ? (kink is political)

Alors pourquoi, là, cela devrait-il être différent ?

- parce que jouer sur le fait que ma soumise est noire c’est «pas bien» ? 

Mais pourtant, il y a des kinks qui portent ouvertement sur le physique. Qui sera choquer qu’une Domina dise « petite bite » ou « gros porc » à un soumis?

- parce que j’ai la peau blanche ? Donc si j’avais la peau noire cela ne choquerait pas ou moins ?

Autant de questions, que je me suis moi-même posées, que pourraient se poser les personnes promptes à juger et à critiquer… 

Je suis néanmoins ravie de n’avoir pas été confrontée à cela (du moins pas ouvertement) lorsque j’ai partagé ces photos sur FB mais au contraire à une belle tolérance (même par les plus mal à l’aise) :


« En fait perso j'aurais du mal dans le cas où c'est une personne noire par exemple parce que ça me rappellera beaucoup trop le temps de la "traite négrière" (oui je dis pas l'esclavagisme parce que y a pas que les noirs qui ont été soumis à cette merde) Du coup j'aurais peur et serait mal à l'aise par rapport au combat de cette communauté en gros trop peur d'être perçue comme raciste Et c'est dommage parce que si ça se trouve je passerai à côté d'une bonne relation » GycY 

« En vrai ce doit être rigolo, ça fait historique... Mais dans les faits tous les peuples ont un moment été réduit en esclavage donc on a pas a se sentir mal par rapport a ça... De toute façon c est qu un jeu consenti entre plusieurs personnes » AW 

 « On peut très être "blanc" et asservir un-e "noir-e" dans une relation BDSM et être une personne des plus compréhensive et ouverte. Et je trouve ce geste magnifique. On sent le don de votre soumisE, l'adoration qu'elle vous voue, tout comme votre fierté de l'avoir à vos pieds. » SD 

 « Pour le coup ça me met plutôt mal a l'aise. Loin de moi là volonté de juger, mais c'est comme les rôles play a thématique nazi, je n'arrive pas à me détacher du contexte de cruauté qu'il y a eu derrière. Je sais que c'est n'est pas fait dans un but d'assouvir un racisme profond de la part des pratiquants, que ça peut même être une forme de réappropriation de l'histoire,.. » KR 

 « cela ne fait pas partie de mes kinks, mais quand on vous connaît un tant soi peu, et quand on voit le sourire de votre soumisE, on ne peut douter que c'est un désir conjoint de vivre cela.. » FM


Bref, bien que je puisse comprendre que ce kink soit malaisant pour certains, il n’est en effet ici, question de rien d’autre que d’un kink de plus dans une relation Ds  faite de confiance, partage et respect mutuel et que celui-ci a encore renforcé notre complicité et dans cet article de rien d'autre qu'une envie de partager un cheminement personnel.

Je terminerai avec les mots de Gigi (écrits lors de nos dialogues sur ce sujet)

« Il est vrai qu'en soit ces termes ont une histoire, toute une signification, et j'imagine que pour beaucoup ils sont stigmatisants ou autre, mais personnellement, comme dit, ils n'ont pas d'impact sur moi en tant que tels, et utilisés au sein de cette relation D/s, il revêtent exclusivement et ce côté extrêmement excitant et cet aspect psychologique qui renvoie à ma soumission et à la place que je désire et suis reconnaissante d'avoir à Vos pieds, au même titre que toute autre forme d'humiliation en somme, où cette utilisation d'insultes ou autres termes pouvant être vus de la sorte est au final un outil pour asseoir une inégalité, dans un cadre complice,intimiste et défini.[…] le cadre définissant l'intention.. »



Lady Agnès


Pour ceux qui veulent découvrir le point du vue sur ce kink du coté de Gigi →"L’humiliation raciale"

les photos → ICI